François d’Épenoux : “La littérature offre un luxe incroyable : elle s’affranchit de toutes les contraintes”
François d’Épenoux est écrivain, mais pas que. Il est également concepteur-rédacteur et écrit pour tous types de supports. Ici, il se livre et raconte comment faire sa place dans la littérature d’aujourd’hui ; comment écrire en 2020.
Vous avez écrit des romans, articles, films… Est-il difficile d’écrire sur un seul support aujourd’hui ? Faut-il s’adapter, s’ouvrir davantage, pour marquer sa place dans ce milieu compétitif et gorgé de talents ?
En France, on estime à moins de 500 le nombre d’auteurs qui vivent, parfois très mal exclusivement de leurs livres. La plupart des écrivains exercent un ou plusieurs autres métiers, parfois pour des raisons purement alimentaires. C’est mon cas mais je m’en accommode très bien !
Les domaines différents dans lesquels j’écris – rédaction publicitaire principalement, mais aussi presse ou scénario – se nourrissent en effet les uns les autres. L’efficacité d’un bon dialogue dans un roman est la même que celle requise dans un spot radio ou un petit film pour le web ! De la même façon, les marques ont souvent besoin de story telling : finalement, on raconte toujours une histoire et ma plume d’écrivain m’est très utile… En ce qui me concerne, cela me permet de garder un pied dans le réel et oui, de garder une ouverture au monde là où certains auteurs s’enferment dans une tour d’ivoire !
Pour vous, comment la littérature s’inscrit-elle dans le domaine artistique et culturel ? Qu’est-ce qui la différencie ?
Par rapport à bien d’autres domaines culturels ou artistiques, la littérature offre un luxe incroyable : elle s’affranchit de toutes les contraintes ! Pour accomplir une œuvre littéraire, nul besoin de matériel, d’investissements coûteux, de logistique. Même pas besoin d’instrument, de peinture, de terre ou autres matériaux. Un stylo, un peu de papier, et c’est tout ! De la même façon, elle peut s’exprimer de toutes les manières possibles : une bonne histoire peut se raconter en 70 pages, comme dans “Effroyables jardins”, ou en 1200… comme dans “Belle du Seigneur”, c’est au choix de l’auteur ! C’est une liberté incroyable. Pour avoir eu deux romans adaptés, j’ai pu mesurer ma chance d’être écrivain. Sans avoir à penser rentabilité, format de distribution, contraintes de temps et de diffusion… En cela, le livre reste intemporel.
Trouvez-vous qu’aujourd’hui, il est plus difficile d’écrire car les sujets “tabous” sont de plus en plus fréquents et le public se résigne de plus en plus facilement ? Avez-vous “peur” parfois que vos textes soient mal compris et que cela se retourne contre vous ?
Oui, à l’heure du politiquement correct omniprésent, on doit parfois tourner sept fois sa plume dans l’encrier avant d’écrire… J’ai pu m’en apercevoir avec l’un de mes personnages, surnommé “Le Vieux” dans l’un de mes romans (Le réveil du cœur) : acariâtre, un peu trop direct, nostalgique d’une époque révolue voire franchement réac, ce patriarche au cœur tendre n’a pas plu à tout le monde. Mais on ne me l’a pas reproché ! Après tout c’était le personnage, il révélait par ailleurs et par contraste, une vraie tendresse humaine…
Ecrire, c’est forcément se livrer, se dévoiler ? Peut-on écrire de la fiction sans dévoiler de sa personnalité, de son humeur ? Essayez-vous parfois de vous détacher complètement de vos créations, ou au contraire est-ce que c’est nécessaire ?
On touche là à la difficulté et au paradoxe de l’écriture : comment concilier le personnel et l’universel ? Comment aller puiser en soi les émotions et les ressentis les plus viscéraux, les plus intimes… sans être autocentré, c’est à dire en veillant toujours à intéresser les lecteurs ? Ce point de bascule est essentiel : être trop introspectif, c’est prendre le risque de se livrer à une auto-thérapie qui n’intéresse personne ; à l’inverse, être trop pudique, trop universel, trop frileux dans ses sentiments, c’est prendre le risque de manquer de sincérité – bref, d’être tiède et consensuel.
Tout l’art, c’est de puiser au plus profond de soi pour écrire, mais sans jamais oublier qu’on est avant tout là pour servir une histoire, embarquer le lecteur avec soi. Cet équilibre réussi vient avec l’expérience. Et l’éditeur est là, aussi, pour dire à un écrivain quand il est hors sujet. Cette relation de confiance réciproque est fondamentale.
Vous avez sorti votre livre Les Désossés en octobre dernier. L’avez-vous écrit pendant le confinement ? Comment vous inspirez-vous pendant cette période vide de culture, de rencontres, de vie ? La littérature est-elle en danger face à cette crise ?
Mon roman Les Désossés a en effet pour thème central un confinement forcé qui vire au huis clos… mais c’est un pur hasard du calendrier ! J’ai jeté les bases de cet ouvrage il y a une dizaine d’années puis il est devenu pièce de théâtre, avant de redevenir un roman. Ce qui est vrai – et c’est toute l’ironie de la vie -, c’est que j’ai mis la dernière main au manuscrit entre mars et juin, à la faveur, si j’ose dire, du premier confinement ! J’avais du temps…
Pour le reste, s’il est bien sûr frustrant de ne pas pouvoir sortir et s’inspirer de l’extérieur comme à l’accoutumée, je ne pense pas que cette crise du Covid ait mis la littérature en danger, c’est même le contraire ! À la veille du deuxième confinement, il y avait des files d’attente interminables devant les librairies ! Preuve que les gens ont retrouvé plus que jamais le goût de la lecture. Et que le livre, qu’on le veuille ou non, est bel et bien une nourriture de l’esprit essentielle.
Propos recueillis par Flore Couturier
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